Sur la route entre Blida et Keroulis
Témoignage de Jean Couranjou.
Nous avions appris la disparition de quatre personnes de nos connaissances à Blida. Voici les noms des personnes, mais nous ne pouvons pas vous donner des renseignements précis : Yves Couranjou, M. Vergez, un fils Demarteau, le Dr Boilet.
Yves Couranjou était celui que nous connaissions le mieux et je vous adresse la lettre que son père, M. Alain Couranjou, nous avait envoyée depuis Blida, à la suite de l’enlèvement de son fils. C’est une lettre très poignante, qui vous fera voir la souffrance de M. et Mme Couranjou, qui sont décédés depuis quelques années, sans jamais avoir pu savoir ce que leur fils était devenu. La France ne les a pas aidés. M. Vergez était un voisin de Blida, qui demeurait avenue Maginot, juste à l’angle de la rue du lotissement Fortuné. M. Vergez était représentant de commerce et avait un fils prénommé Claude. Un fils Demarteau, très jeune encore. Sa mère tenait un kiosque de friandises sur la Place d’Armes de Blida. Cet enlèvement s’est produit après notre départ de Blida et nous ne pouvons fournir d’autres renseignements. Le Dr Boilet qui nous avait soignés avant sa disparition. Parait-il, qu’il avait été appelé pour un accouchement et n’est jamais revenu. Le Dr Boilet habitait dans les immeubles près du cimetière de Blida.
… Nous sommes de tout cœur associés à vos recherches.
Lettre de M. Alain Couranjou, père du disparu Yves Couranjou.
« Mon cher Charlot, Merci pour ta lettre trouvée à Clinchant d’où je suis rentré hier. Oui, le malheur s’est abattu sur nous. Le 7 juillet, ils m’enlevaient notre Yves avec son auto, sur la route de Blida-Relizane. Depuis, aucune nouvelle malgré tous mes efforts et démarches. Je n’ai plus d’espoir. Là-dessus, Gisèle est encore plus malade qu’avant. Moi, je fais un début de dépression nerveuse. Il y a de quoi. J’ai pris une « tape » de 2 millions là-bas, toutes mes économies (à 52 ans). À Clinchant, c’est impossible de travailler. L’ALN m’a à peu près tout réquisitionné (sans décharge) avec mitraillette sur le ventre à chaque coup, y compris mon parc autos (2 4×4, 1 Jeep Hotchkis, une 2 CV). Ils m’ont fauché mes armes personnelles et en mon absence. Bref, il ne me reste plus que les yeux pour pleurer, mais je n’ai plus de larmes. Avant-hier, j’ai dégagé les derniers Européens de mes services (énormes, car je suis le dernier des ingénieurs du département). Ensuite, je suis parti le dernier, malgré l’interdiction qui m’était faite. Ici cela devient intenable : réquisitions, pillages, expulsions etc… Heureusement que je suis auprès de Gisèle. Ce qu’ils racontent dans les journaux, c’est tout du bluff. Les accords d’Évian sont violés continuellement. La France nous a abandonnés comme otages ici. Gisèle et moi, vous embrassons de tout cœur ainsi que les enfants ».
Nom, prénom : Couranjou Yves, né le 6 ou 7 août 1936 à Alger – bras droit raccourci – taille : 1,80 m ou plus ; ayant lunettes de vue, célibataire, profession : directeur de domaine (ferme Raffin) à Zéralda – ses parents : Alain et Gisèle Couranjou, 16 avenue de la Marne. Blida. Aujourd’hui décédés. Enlevé sur le trajet Blida-Keroulis le 7 juillet 1962. Keroulis est situé à 21 km d’Aïn-Témouchent, 45 km de Sidi-Bel-Abbès, 60 km d’Oran. Ne pouvant (ligne téléphonique Yves Couranjou coupée ?) prendre par téléphone conseil de son oncle qui dirigeait le domaine de Kéroulis, il était parti le consulter sur place. Il circulait en 203 Peugeot, soit une berline bleu clair soit, un break gris clair. Il a été arrêté sur son trajet vraisemblablement par des gens qui voulaient lui voler sa voiture et ce, dans la région d’Orléansville Affreville-Relizane.