Salvador Blanes

Le 1er septembre 1958,
Sur la route entre Trolard Taza et Téniet-el-Haad

Témoignage de son fils René Blanes.

En raison de sa qualité d’entrepreneur de transports publics gérant un parc de deux camions remorques de 20 tonnes chacun (l’activité économique liée aux transports dans la région de Téniet-el-Haad ayant été rapidement réduite du fait des événements), mon père a ressenti la nécessité d’utiliser des chauffeurs arabes pour maintenir un minimum d’activités. Or, il se trouve que le matin du 1er-septembre 1958, un des chauffeurs ne s’est pas rendu au travail pour exécuter un transport de céréales depuis une ferme localisée sur la route de Trolard Taza à une quinzaine de kilomètres de Téniet, ce transport étant prévu sans escorte militaire. C’est donc mon père, Salvador Blanes qui a pris le volant pour effectuer le voyage prévu. Sur le chemin du retour, lors du passage à gué d’un oued qui se faisait pratiquement au pas (le pont ayant été dynamité et par conséquent hors-service), un groupe de fellaghas en embuscade lui a intimé l’ordre, sous la menace de fusils et mitraillettes, de conduire le camion et sa remorque lourdement chargés de sacs d’orge sur la piste voisine de telle sorte qu’ils ne soient plus visibles de la route. Une fois à l’arrêt, plusieurs rafales de mitraillettes ont été tirées dans le réservoir de gas-oil et le feu fut allumé au moyen de chiffons imbibés de carburant. Petit à petit le feu s’est propagé et a embrasé l’ensemble du camion et son chargement sous les yeux de mon père et de l’ouvrier qui l’accompagnait (c’est de ce dernier que je tiens le récit de l’embuscade). Par la suite, les fellaghas ont emmené mon père avec eux lors de leur repliement dans les montagnes voisines et ont chargé son ouvrier d’aller donner l’alerte au village qui se trouvait à une dizaine de kilomètres environ. Ce laps de temps devait leur permettre de s’éloigner suffisamment en des lieux inaccessibles autrement que par la marche à pied. Une fois l’alerte donnée vers midi, les autorités civiles et militaires ont été avisées et une opération de recherche sur les lieux de l’embuscade a été déployée dès l’après-midi par l’armée locale, sans résultat probant, pas plus que les opérations militaires effectuées dans le secteur au cours des jours suivants. C’est ainsi qu’a pris date l’enlèvement de Salvador Blanes, âgé de 53 ans à l’époque, sur la route reliant le village de Trolard Taza à Téniet-el-Haad. Au cours des jours qui suivirent l’enlèvement, un espoir animait la vie quotidienne du milieu familial, des proches et des autorités qui, en fonction des renseignements recueillis et sans trace de dépouille mortelle, nourrissaient une hypothèse de retour, ce scénario s’étant produit ailleurs… Puis ce fut la période des rumeurs… L’on nous rapportait de-«-source sûre-» avoir vu dans tel ou tel djebel, un groupe de fellaghas avec un prisonnier français… qui était préposé aux corvées de cuisine et au portage à dos d’homme de matériels divers-!…Au niveau familial, nous avions décidé de poursuivre l’exploitation de l’entreprise – ne serait-ce, en cas de retour du disparu, que pour lui témoigner que le fruit de sa vie de travail n’avait pas été délaissé sans combattre. Hélas, ce sursaut fut voué à l’échec après avoir subi un nouvel attentat sur le second camion de l’entreprise (tentative d’incendie lors d’une embuscade avortée en raison de l’arrivée d’une patrouille militaire)… C’est en définitive, après maints déboires, que s’est présentée l’offre d’achat, à vil prix, de l’entreprise de mon père disparu, par un arabe affairiste, sévissant dans le milieu du transport… Vint ensuite l’arrachement définitif de nos racines en laissant nos morts et disparus sur une terre dont le souvenir reste profondément présent dans nos mémoires…

Salvador Blanes avait 53 ans.