Joseph Belda

Le 13 septembre 1962,
Entre Oued-Sebbah et Aïn El Arba

Témoignage de son fils Joseph Belda.

Mon père, après une journée de vendanges sur sa propriété à Oued-Sebbah, rejoignait son domicile à Aïn-El-Arba, village situé à 60 km d’Oran, à 9 km d’Hammam-Bou-Hadjar et à 35 km d’Aïn-Témouchent. Il a été enlevé par des membres de l’A.L.N. désireux de s’accaparer de son véhicule, mais surtout, par cet acte, de pousser les derniers Européens encore présents à Aïn-El-Arba, à fuir définitivement en France et ainsi s’emparer de leurs biens.

Il faut savoir que du 5 juillet 1962 au 20 septembre 1962, l’Algérie était en proie aux luttes de factions (groupe de Tlemcen contre G.P.R.A. et Wilayas II, III, IV). En l’absence de gouvernement central, une multitude de potentats militaires locaux s’était créée à travers toute l’Algérie. Ceux-ci rançonnaient, pillaient et enlevaient en toute impunité. Je précise que j’ai bien connu cette période car je suis resté en Algérie des premiers jours de l’indépendance au 30 octobre 1964, spécialement pour retrouver mon père.

Joseph Belda, 53 ans

Après son enlèvement j’ai effectué toutes les recherches et démarches possibles auprès de toutes sortes d’autorités (autorités françaises, autorités administratives et judiciaires algériennes, milieux de l’A.L.N. algérien…) avec tous les risques de rétorsion sur ma personne. J’ai effectué toutes les recherches possibles sur le terrain pour essayer de contrôler toutes les hypothèses, issues de sources diverses, sur le sort fait à mon père. Avait-il été tué immédiatement après son enlèvement ? Ou croupissait-il dans un camp spécial de détenus ? Était-il utilisé sur la frontière algéro-marocaine dans les opérations de déminage comme cela se disait aussi ? Des Algériens se faisaient forts de me faire parvenir des messages de mon père, contre rémunération bien entendu. Certaines de ces personnes ont d’ailleurs été purement et simplement éliminées par les instigateurs de l’enlèvement.

J’ai quitté l’Algérie le 30 octobre 1964 quand, ayant épuisé toutes les pistes de recherche, j’ai eu la conviction que je ne reverrai plus jamais vivant mon père. Il a certainement été abattu et son corps a été jeté soit aux chacals, soit au fond d’un puits, ce qui aurait pu constituer un semblant de sépulture (à cette époque, j’ai d’ailleurs poussé mes investigations dans cette direction, mais sans résultat).

Durant toutes mes recherches, je n’ai jamais été aidé ni par les autorités françaises ni par la Croix-Rouge Internationale qui enquêtait, en 1963, sur les disparus en Algérie. J’ai rencontré les membres de cette Croix-Rouge à Oran, en 1963. Je leur avais apporté tous les éléments pour intervenir auprès des autorités algériennes afin de confondre les ravisseurs de mon père et ainsi faire la vérité sur sa disparition. Bien plus, je leur révélais que j’avais retrouvé le véhicule de mon père ; que j’avais même réussi à le faire mettre en fourrière par la police algérienne qui ne me l’avait pas rendu car je ne pouvais présenter la carte grise ; que par la suite j’avais vu ce véhicule entre les mains d’officiers de l’A.L.N. Il me fut répondu que cette demande débordait le cadre de leur mission et ils me renvoyaient auprès des autorités algériennes, précisément celles qui paradaient dans le véhicule de mon père. J’avais répondu à ces représentants de la Croix-Rouge que, si leur mission consistait à recenser les disparus, il leur suffisait de s’adresser au consulat de France à Oran. J’ai donc dû intervenir seul auprès des autorités algériennes et c’est alors que le véhicule concerné disparaissait pour réapparaître quelque temps plus tard entre d’autres mains et ainsi de suite.

Le même comportement a été observé de la part des autorités consulaires françaises qui n’ont procédé à aucune intervention, malgré mon insistance. Pour reprendre l’exemple du véhicule, le consul de France à Oran à qui je demandais de l’aide pour le récupérer, me répondit qu’il fallait m’adresser aux autorités algériennes. On tournait en rond.

Dans cette affaire, je peux avancer qu’à plusieurs reprises, on a assisté à des manifestations de non-assistance à personne en danger :

– de la part de la Croix-Rouge Internationale

– de la part des autorités consulaires à Oran mais aussi du gouvernement français.

En effet, si l’on se reporte au contenu des accords d’Évian portant sur la protection des personnes et des biens, aux déclarations du haut-commissaire français en Algérie, M. Christian Fouchet, sur la protection des ressortissants français, le moins que l’on puisse dire c’est que, vu l’inexistence du pouvoir central responsable en Algérie à cette époque, il fallait soit assurer effectivement la protection des Français sur le territoire algérien, soit leur demander de quitter l’Algérie, soit au moins les regrouper. Il y eut un silence total de la part des responsables français avec les conséquences que l’on sait de la part des autorités algériennes.

J’ai la conviction que le groupe de Tlemcen (Ben Bella, Boumédienne…) a incité les potentats militaires locaux en Oranie à harceler les Européens de façon à les pousser à fuir.

De nombreux enlèvements d’Européens se sont produits en Oranie et dans notre région entre juillet et septembre 1962. Bizarrement ceux-ci cessèrent chez nous quand Ben Bella, avec l’aide de Boumédienne, forma un gouvernement vers le 20 septembre. L’expropriation des biens par l’État algérien pouvait succéder aux expropriations sauvages.

Il suffit de se rappeler que la législation sur les biens vacants en Algérie fut très vite adoptée et mise en œuvre, que les lois de nationalisation des biens agricoles suivirent en septembre 1963. Dès lors les enlèvements n’étaient d’aucune aide pour faciliter l’expropriation des biens des Européens. Les petits chefs locaux devenaient gênants pour l’État Algérien s’ils continuaient à sévir. Il fallait les mettre au pas, au besoin par la force. J’en veux pour preuve le voyage de Ben Bella en Oranie, fin septembre 1962, pour faire cesser les exactions. Ainsi le responsable de l’A.L.N. de notre région fut neutralisé par la force armée après un combat, car il ne voulait pas se soumettre à la nouvelle donne politique.

La déclaration de disparition a été faite en son temps auprès du consulat de France à Oran, dont je joins un certificat de disparition ainsi qu’un extrait d’un jugement rendu par le tribunal de grande instance d’Oran du 9-mars 1965 qui prononce le décès de mon père à la date du 13-septembre 1962, jour de sa disparition. Le jugement a été rendu sans que le constat légal de mort ou la connaissance du lieu de sépulture du corps ne soient établis.

Joseph Belda

Les témoignages :